C'est calme. Trop calme. Trop de ce faux calme, celui de l'attente d'action. La vie grouille dans le campement, comme d'habitude. Pourtant, le hongrois trouve celui-ci paisible à son goût. Pas d'assaut, de combat, d'action ni d'adrénaline. Parfois ça fait du bien, certes. Mais lui, c'est dans la tension qu'il se sent bien, qu'il doit se concentrer sur autre chose que la vie abandonnée derrière lui. De l'eau a coulée sous les ponts comme on dit, et il s'est fait une raison. Mais il y a toujours ce regret qui le ronge, ce sentiment de ne pas avoir assez lutté pour rester là-bas. Même s'il n'a pas eu le choix.

Face à un lourd sac de sable, Abahel s'entraîne seul. A défaut d'avoir un camarade pour se dérouiller, il se défoule contre sa cible. C'est toujours dans la fatigue physique qu'il a canalisé ce qui l'habite. Pompes, baston, course, tout est bon pourvu que ça lui vide la tête. Alors là, il cogne encore et encore contre, faisant osciller le sac sous ces coups. Sans vouloir l'admettre à voix haute, Passe-Muraille se fait chier. Dormir ? Déjà fait. Manger ? Déjà fait. S'entrainer avec l'héritage, essayer de se rendre utile, déjà fait fait fait. Certaines choses sont plus compliquées pour lui à cause de ce bras qu'il faut accorder au singulier, mais dans l'ensemble il se débrouille. Et le premier qui essaye de l'aider par pitié s'en prend une. Ca l'énerve suffisamment comme ça d'être freiné dans certains mouvements, pas la peine de rajouter une couche d'apitoiement.

Face à son lourd sac de sable, Abahel cogne et recogne. Sa main est engourdie à force, mais peu importe : il a encore de l'énergie à revendre. Toujours. Le manchot ne s'arrêtera que lorsque la soif rendra sa bouche pâteuse, que la fatigue plombera trop durement son bras. Il l'avait payé au prix fort, son accident. Un bras et deux paren.. Ta gueule, Ab. Pense pas à ça. Cogne. Cogne et ne pense à rien. Rien d'avant, rien du tout, juste ce foutu sac de sable.

Son t-shirt trop large colle avec la sueur et rappelle encore plus la silouhette absente de son bras gauche. La teigne continue sans sourciller : il cogne.

Droite !
Gauche !
Droite !
Gauche !

Le rythme des coups, Abahel avait eu du mal à s'y faire pour ses premières castagnes avec un bras en moins. C'était déstabilisant, il manquait quelque chose. Et pour cause. Maintenant, il s'y est fait. A ça comme au reste. Abahel oublie, il s'oublie lui-même. Se défouler lui vide la tête de son trop plein de pensées amères. C'est pas nouveau, il a toujours fonctionné comme ça. C'est parce qu'il est aussi concentré qu'il ne fait pas attention à cette présence qui l'observe. En temps normal il l'aurait senti bien plus vite. Au lieu de ça, il se fait surprendre bêtement, et dégaine tout de suite les gros yeux en tournant brusquement la tête vers l'origine de l'interpellation, alors que son bras se fige à quatre centimètres du sac. Mais bien vite, le hongrois rentre les griffes : c'est pas un ennemie. C'est presque dommage.

Sans gêne, il la dévisage et cherche mentalement les infos qu'il a sur elle. Elle, oui. Que d'autres trouveraient probablement jolie. Abahel aussi aurait pu, s'il s'intéressait à ce genre de trucs, mais ce n'est pas vraiment le cas. Non, lui, il reste factuel. Brune. Mate de peau. Bandana sur la tête. Nouvelle au campement, surtout, sinon il aurait plus d'infos sur elle. C'est pas qu'il soit pote avec tout le monde, très loin de là. Mais Passe-Muraille est là depuis assez longtemps pour reconnaître chaque personne. C'est le privilège des vétérans. Mais sinon, il ne parle pas à grand monde. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne sache pas tendre l'oreille. Au contraire, il n'y a rien de plus simple quand on se fait discret pour entendre ce qu'on veut. Et entre autre, les noms des nouveaux. C'est comme ça qu'il a appris son nom, à elle. Bagheera. Tu parles d'un nom disney. Elle veut quoi, la minette ? Lui faire la morale comme le félin du bouquin ? Remballe tes jolies leçons, le hongrois est un cancre à cette école-là.

Avec un reniflement, il se détourne d'elle. Frappe mollement le sac.. Et retient une grimace. Elle a cassé son rythme. Ça y est, la douleur est là. Szar !

- Je m'entrainais. Un sac de sable, c'est mieux que rien.

Il fixe celui-ci quelques secondes, puis s'en détourne avec quelques mots hongrois rageurs.

- Et toi ? A part sauver des sacs, tu es venue faire quoi ici ?

Ces mots sont prononcé de sa voix grondante, mais aucune animosité n'en transparaît. Le moment de cogner est passé, voiilà tout. Son bras le lance, de la main à son épaule, et maintenant qu'il a cessé de mettre la douleur de côté pour se concentrer sur sa frappe le hongrois la ressent d'autant plus. Sa main, surtout, refuse pour le moment de s'ouvrir et se détendre. Il a beau avoir desserré le poing, ses doigts restent refermés sur eux-même. Cette douleur, Abahel a l'habitude de la ressentir, il n'en fait plus grand cas bien que ça soit toujours un moment désagréable. Mais quelque part, ça lui rappelle qu'il est vivant. En quelques grandes enjambées, il rejoint une sorte de bassine d'eau posée à même le sol, et s'accroupit devant pour y plonger sa dextre endolorie. L'eau fraîche lui fera du bien, la détendra doucement, lui permettra de retrouver sa liberté de mouvement. Passe-Muraille soupire, fait craquer sa nuque et ses épaules, et finalement observe Bagheera.

- Je ne t'ai jamais vu t'entraîner, quand j'y pense..

Simple remarque qu'il se fait, et se surprend à dire à voix haute.

Calme. Le mot est juste, t'as raison. Abahel hoche gravement la tête à ta réponse. C'est calme, trop calme. C'est mort, même, comme si tout dormait. Un sommeil éveillé, celui de la routine et du quotidien sans action ni rebondissement. Parfois, ça fait du bien. Mais souvent on s'y ennuie mortellement.

Le Hongrois reste quelques temps accroupis au ras du sol, sa main unique congelant dans le bac d'eau glacée. C'est froid,oui, et ça vous fouette le sang ! Mais ça marche, aussi : petit à petit, comme une fleur qui éclôt, ses doigts s'ouvrent et sa paume se déploie. Les écorchures de ses phalanges picotent de plus belle, mais osef. Ce n'est pas une belle fleur, de toute façon, plutôt une ronce solide et noueuse, une roche calleuse et rude sur laquelle le temps et les combats ont gravés leurs marques. Un profond soupire échappe au combattant : enfin, il peut bouger sa main. Celle-ci est presque totalement détendue quand la jeune femme reprend la paroles.

Ab' observe sa dextre revivre tout en écoutant ce que le chaton lui dit. Aaah, c'est pour ça qu'elle ne s'est pas barrée. Un truc à proposer. Neutre son visage quand elle demande qu'il l'entraîne. Pendant quelques secondes, il ne bouge pas et on pourrait se demander si le manchot est devenu sourd en prime. Et puis il tourne la tête vers elle, l'observe à nouveau de la tête aux pieds. Cette fois, c'est pour estimer son potentiel au combat, le style qui lui irait. Ce n'est pas la première fois qu'on lui demande ça, et certainement pas la dernière non plus. De toute façon, il considère que ça fait partie de son rôle.

- C'était y a longtemps, les entrainements ?

Autant savoir si ça date de Mathusalem, hein. Avec un grognement d'impatience, Passe-Muraille se relève et arrache sa paluche au bain salvateur. Il lui fallait encore un peu de temps ?Détail. Ça ira bien comme ça, on va appliquer la méthode express. Et le voilà qui la secoue pour égoutter, et claque sa cuisse pour achever de refaire circuler le sang. Son bras le lance toujours, mais tant pis. Ce n'est pas son corps qui commande, c'est lui.

De son pas lourd, Abahel se dirige vers le sac de sable. D'un geste de tête, il intime à Bag' de faire pareil. Et ensuite.. Ensuite il plante son regard dans celui de la brune.

- T'as déjà tapé quelqu'un ? Les jeux de gosses ne comptent pas, et les baffes collées aux pervers lourdingues non plus.

Euuuh. C'est de l'entrainement, ça aussi ? Bah il semblerait, ouais. Abahel aime savoir s'il entraine une brebis, ou quelqu'un qui a du répondant. Ou au moins du potentiel de répondant.