Identification du Personnage
AGE •• Neuf ans. Pas toutes ses dents.
MÉTIER •• Son truc à la Poussière, c'est les morts. Les enfants morts surtout. Il faut les rassurer, les guider jusqu'aux étoiles où ils pourront faire leur nid. Zéphyr les prend en affection. Les fantômes qu'il voit n'existent pas, pourtant ils sont là. Il les accompagne jusqu'au trépas, les laissant à l'entrée pour ne pas salir le seuil de ses pieds crottés. Il creuse les sépultures, les décore lui-même, les entretient et les fleurit. Il apporte sa fantaisie au macabre des cimetières, illuminant la grisaille triste des tombes et des visages. Pour lui, c'est sa mission, son devoir. Il est un fossoyeur qui sourit, et son cœur bat au rythme de ceux qui n'en ont plus.
TAILLE •• Oh, vraiment vraiment pas grand chose.
PHYSIQUE •• Minuscule. Un grain de poussière. Zéphyr a le teint maladivement blême. L'Imagination lui a volé ses couleurs. Elle absorbe sa force. Un corps chétif, fluet, avec des membres cure-dents qui se plient toujours un peu bizarrement, comme un singe, comme un jouet articulé. Une chevelure hirsute, épars, plutôt sale, d'un noir de jais qui n'a pas d'éclat. Yeux d'encre, d'un bleu noirâtre qui rappelle les abysses. On en voit à peine le blanc et le regard est souvent dérangeant. Un peu dérangé. Il est mobile ou fixe, éteint ou étincelant, il n'a pas de mesure et pas trop de logique. Le regard est souvent ailleurs, pas vraiment absent, pas vraiment là non plus. Voilé par une effervescence de visions intimes qu'il ne peut partager, et qui l'entrainent si loin qu'il aura du mal à retrouver le chemin. Le sourire est bizarre, comme déréglé, mais il est vrai. Sa figure est incroyablement ronde, lisse, douce, port-étendard de cette enfance qu'il ne quittera pas. Un visage lunaire, raturé de nuances noires. Héritage, encore, sûrement. Hécate. Il fait un peu malade.
Quand l'Imagination s'enrobe de peur, quand elle resserre contre son coeur un étau de ténèbres, son visage de lune se tord d'hystérie. Alors Poussière n'y voit plus rien, tout devient flou, morcelé, il s'agite et gesticule tout seul. Il hurle, frappe, mord. Saigne du nez. Souille ses dessous. Et tombe, comme une poupée de chiffon, il tombe en pâmoison.
Zéphyr n'est pas propre. Il n'aime pas se laver. Il traine dans la boue, dans la crasse, dans la poussière. Ses ongles sont noircis, son nez morveux, et son visage souvent maculé de saleté. Il n'a pas le réflexe de nettoyer les taches de terre ou de sang, ou autre chose, qui encrassent ses vêtements, sa peau, même ses cheveux. Il a du mal à comprendre ses propres besoins, alors il lui arrive de se pisser dessus, aussi. Sinon, c'est une petite teigne, qui se laisse pas faire et qui n'a peur de rien. Rien dans le réel, dans le terrien. Même pas des gros balèzes, des même pas des chiens.
C'est facile de le reconnaitre, Zéphyr. Il ne porte que des salopettes et ne se sépare jamais de son bonnet bleu. Il en a toujours été ainsi. Il en sera toujours ainsi.
CARACTÈRE •• Les nerfs à vif mais l'esprit ailleurs. La mémoire vacillante, le cœur détraqué, la pensée confuse. Zéphyr ignore tout du bien et du mal. Zéphyr ne sait pas ce qui est grave ou pas. Zéphyr sait à peine dire quand il a mal, faim ou froid. C'est un enfant sauvage, brut, un petit funambule en exercice sur le fil de sa conscience. Il est enseveli de manies, de chimères, d'angoisses, il court partout et court en lui-même. Il imagine. Tout le temps. Il voit même son ombre bouger, et s'imagine que c'est un ami.
Et l'Imagination l'embrouille, souvent. Il parait un peu attardé, comme ça. On voit qu'il manque d'éducation, qu'il manque d'affection, qu'il manque de toutes les choses qui auraient pu faire de lui un homme. C'est un oisillon pas bien beau qui tente de faire son nid partout, sans trouver les bons composants. Alors il se roule en boule dans un coin, comme un petit chien, l'Imagination comme couverture. Carmin comme maman de fortune.
Il est débrouillard, à sa façon. Même s'il pisse partout.
Il vit à mille à l'heure, le cœur battant à tout rompre sans jamais trouver d'apaisement. Il se met en danger, sans arrêt, parce qu'il est tellement halluciné qu'il ne se rend compte de rien. Il s'élance, se rétame, se relève, valse, grimpe, chante, crie, pleure, rigole, joue. Une tornade dans un corps de pantin. Il aime sa Mère, il l'aime comme on aime l'espoir. Il chuchote ses secrets à la Lune en se gorgeant de l'espérance qu'elle saura recueillir sa prière. Je t'aime, maman, je t'aime. Ce n'est pas grave que tu m'aies abandonné. Je crois en toi, moi. Tu sais comme je crois en toi ? Il ne sait rien d'Hécate pourtant. Il sait qu'elle est la mère des fantômes, ses frères, la mère de la magie, qui danse autour de lui, la mère de la Nouvelle Lune, dont la clarté le captive, chaque nuit, chaque nuit. Ses émotions suivent les aléas de la Lune, suit les humeurs de sa génitrice. Ses cauchemars aussi.
Alors on le dit autiste, déficient, malade. Malade. On s'éloigne de lui, on est mal à l'aise, apeuré, intrigué. Attendri, parfois. Et lui continue de nous présenter ses copains invisibles et de pointer du doigt un bateau ailé que nous ne voyons pas, lui continuera comme ça, sans remarquer notre embarras.
Un rien l'attire, un rien le rebute, un rien le fascine. Il est comme pas fini. Il ressent plein de choses, ne croyez pas le contraire. Mais tout est tourbillonnant, instable, illogique. Il ne peut rien réfléchir, rien raisonner. Il s'exprime à sa manière, avec des dessins dans la cendre ou à la craie, avec des chansons atonales parsemées de mots comme des jets de lave, avec un regard qui étincelle comme un milliard de bougies.
Il est dyslexique, parce que sous ses yeux tout est différent. Certaines couleurs le rendent triste par exemple, alors quand il est triste il dit "Je me sens orange". C'est valable pour toutes les émotions. Les lettres lui évoquent des formes ou des paysages, aussi il ne parvient pas à les assembler pour former un mot. Il adore profondément les choses répétitives. Les rituels. Comme tracer des formes géométriques, en particulier des ronds, à l'aide de sa craie. Il le fait un peu partout. A l'inverse, les lumières trop vives, les sons trop forts ou trop aigus, les goûts trop prononcés lui sont intolérables, et certaines couleurs, visions, le dégoûtent. Zéphyr est infiniment sensible à la musique. Écouter une mélodie le rend statique, absorbé, comme sous hypnose. Il peut se mettre à trembler à l'entente d'un morceau émouvant ou véhément. Aussi, il apprécie profondément de jouer du tambour. Il est assez chiant avec ça, surtout qu'il ne sait pas vraiment en jouer en vérité. Il lui arrive de se parler à lui-même, pour se rassurer ou s'engueuler... Il lui arrive de parler de lui à la troisième personne, aussi.
Zéphyr, il a du mal à comprendre ce qu'est la douleur. Elle lui échappe, il voudrait la saisir. Parfois elle lui parait nécessaire, soulageante. Salvatrice, même. Alors ce n'est pas tellement rare de le voir s'arracher les cheveux ou se planter les ongles dans la peau. Il ne comprend pas vraiment ce qu'il fait. Par ailleurs, quand il est sujet à l'anxiété, il se gratte à certains endroits tant et tant qu'il finit par saigner. Mais il ne s'en rend même pas compte. Et Carmin essaye de l'en empêcher. Zéphyr n'est pas non plus un symbole de pudeur. S'il porte des salopettes, uniquement des salopettes, c'est parce qu'il ne cesse de se débarrasser de ses pantalons. C'est si encombrant, ces choses-là.
En bref. Zéphyr est naïf et il est farouche, il est brutal et il est tendre, il est intense et fragile. Il rit souvent, pour rien. Il croule sous les pétarades de son imagination qui déborde. C'est le gamin bizarre. Grain de poussière dans l'univers.
PARCOURS ••
Il se souvient pas, Zéphyr. Les souvenirs sont dilués, maintenant. Poussière ne sait pas tellement ce qu'il était avant d'être poussière. Et si on lui demande ce qui l'a rendu comme ça, Poussière dira qu'il a toujours été comme ça. C'est peut-être vrai, finalement. Il vivait dans le foyer d'accueil, parfois à l'hôpital de jour. Parce qu'il avait déjà l'imagination hyperactive. C'était juste pas un don, pas un pouvoir. Juste un drôle de cerveau, carburant à la fantaisie.
Poussière, c'était l'enfant à problèmes. Il fallait de la force pour l'aimer. Il fallait du courage pour le porter. Être résistant, patient, conciliant. Un enfant lourd, envahissant, incompréhensif. Un boulet de canon qui fonce tête baissée contre les murs, étranglé de rire tandis que le front vire au violet. Un électron trop libre qui explose pour un rien, hurle, déchire, casse, et n'a même pas peur de la douleur. Un concentré de rêves illogiques, de rituels entêtés, de requêtes insensées... Il n'avait certainement pas toute sa tête.
Zéphyr sait qu'il a jamais eu de maman. Il en cherchait une, une aux cheveux noirs, comme lui. Une pour l'appeler "mon chéri". Il allait dans les parcs, les crèches et les hôpitaux, à scruter les visages des dames dans l'espoir d'apercevoir une réaction, une larme ou un sourire. Peut-être même une main, oh une main. Mais il n'y avait rien.
L'école, ça collait pas. Zéphyr savait pas se concentrer, devant ses yeux les lettres dansaient, devant les autres ses mensonges dérapaient. Il se faisait gronder si souvent qu'il avait oublié comment ça faisait quand on lui parlait normalement. Mais c'est pas grave. Il a plein d'amis. Il les invente, lui. Il a pas besoin de vous, non. Non.
Zéphyr crachait tant de fariboles qu'on a fini par lui donner des médicaments. Hyper forts, dans le genre. Un coup de massue sous forme de cachet. Il devait parler à des psychologues, des psychiatres, des psychiatrologues, des orthophonistes, des spécialistes de l'autisme, des professeurs, des assistantes sociales. "Et maman, elle te manque ? C'est pour ça que tu fais ça ? Parce qu'elle est partie ?". Et Zéphyr de leur répondre, les yeux ronds devant tant d'ignorance : "Elle est pas partie ma maman. Elle s'est perdue. Alors je la cherche.". L'ignorance des grands, des vieux, des vides. Qui croient plus en rien et préfèrent parler des cratères de la lune plutôt que de sa beauté. Tant pis pour eux, il va pas s'attarder.
Alors il va à l'hôpital de jour. Tous les jours, maintenant. Il dessine, parle des personnalités des lettres et des couleurs, parce qu'il les connait lui. Il joue, invente, créé et recréé, libre de tout. Dans sa tête, comme trop grosse pour lui. Un jour, comme ça, il cligne des yeux. Longtemps. Les paupières se crispent sous l'effort. Le monde est avalé par le noir, ça tourne un peu, mais c'est sûrement les médicaments. Sauf que non. Parce que quand il rallume la lumière, le monde a changé. Le monde est devenu un vaste rêve, déréglé, chaotique, puissant, un rêve fou et beau. Un monde de rêve. Son monde. Il n'a plus besoin de forcer pour faire tourner le manège. Le manège tourne tout seul. Il a juste à monter, se laisser porter, parfois jusqu'à la nausée.
Et quand ça va pas, Carmin est là. Carmin est là.
ANECDOTE •• L'anecdote de Zéphyr, c'est un cochon d'inde.
Un jour, Carmin est venu à lui avec une cage. Un petit truc potelé et soyeux était recroquevillé dans un coin. Elle lui a dit qu'il était à lui. Que c'était un être vivant, comme lui, qu'il fallait s'en occuper, le nourrir et le rassurer. Parce que prendre soin d'une petite bête l'aiderait peut-être à prendre soin de lui-même. Le cochon d'inde de Zéphyr, c'est le symbole de la confiance que Carmin lui a offert. Zéphyr pense encore qu'il s'agit d'un hérisson qui a perdu ses piquants. Il l'a appelé "Pain de mie", mais on ne sait pas trop pourquoi. Et croyez-le ou non, il en prend soin, de son hérisson imberbe.